Par Hervé Rouvel
Docteur en Pharmacie
Un épisode de dépression majeure doit donc être pris très au
sérieux du fait même d’un risque de suicide que l’on ne peut
jamais exclure, mais aussi parce que s’il n’est pas convenablement
pris en charge, la rechute ou la survenue d’un nouvel épisode est
très probable.
La dépression est une maladie complexe. Bien des patients
sont dans le déni et reportent leur mal-être sur des symptômes
organiques. Le médecin a la lourde tâche de faire accepter son
diagnostic à une personne qui le refuse.
Traiter les symptômes ne suffit pas
Les anxiolytiques et les hypnotiques traitent les symptômes et le
mal-être lors de la première phase de la maladie, puis deviennent
de moins en moins utiles lorsque le traitement par antidépresseur
commence à agir. Il est très fréquent que les bienfaits de ce dernier
ne se fassent sentir que trois semaines après le début du traitement.
Ce délai a, semble-t-il, plusieurs explications organiques.
L’amygdale et l’hippocampe sont des structures bilatérales logées
à la base du lobe temporal du cerveau. L’amygdale se situe juste
au dessus de l’hippocampe. Ils forment avec le gyrus cingulaire,
le fornix et l’hypothalamus, le système limbique qui est le
« cerveau émotionnel ».
L’amygdale est le lieu de gestion des sentiments, de la peur,
de l’anxiété. L’hippocampe est le siège de l’humeur, de la
mémorisation, de la concentration. Lors d’un épisode dépressif
majeur, la taille de l’amygdale est modifiée : augmentation
de volume de l’amygdale droite ou des deux. La taille de
l’hippocampe est réduite et cela peut aller jusqu’à 20%, selon
l’imagerie cérébrale.
Entre autre mécanismes, l’antidépresseur pourrait agir en
rééquilibrant le fonctionnement de ces structures nerveuses
en favorisant les neuromédiateurs cérébraux (sérotonine,
noradrénaline). En effet, la sérotonine influence et régule
la plasticité cérébrale. Quant on sait que les antidépresseurs
facilitent à un degré variable le système sérotoninergique, leur
influence sur la plasticité cérébrale est une hypothèse valide.
Doit-on médicaliser la tristesse
ou l’anxiété?
Médicaliser tous nos sentiments désagréables n’est certainement
pas pertinent. Il est des moments pénibles, comme un deuil, qui
rendent triste et parfois asocial. Cette tristesse est évidemment
légitime et nous pouvons très naturellement en souffrir. Être
triste n’a rien de pathologique sauf si cette tristesse devient
plus profonde et s’imprime dans le temps.
L’anxiété est la réaction normale d’un individu à un événement
inattendu qu’il ne peut pas gérer sur le champ. L’anxiété devient
pathologique lorsqu’elle crée un effet de sidération morbide qui
empêche toute action et aboutit à une souffrance psychique
et physique telle qu’un traitement par anxiolytique devient
nécessaire. Le trouble de l’anxiété est alors manifeste.
La dépression
Les antidépresseurs ne sont indiqués que pour des dépressions
dites majeures. Celles-ci nécessitent le diagnostic d’un médecin.
Il existe des signes d’alerte qui ne préjugent pas de la pathologie.
Le diagnostic s’établit lorsque les symptômes persistent et ne
s’améliorent pas sur plusieurs semaines et rendent la vie difficile.
La perte d’envie, le sentiment d’abandon, l’auto-culpabilisation
ou l’autodénigrement, un sommeil non réparateur qu’il soit trop
fréquent ou trop court, le sentiment de ne plus avoir d’énergie…
doivent orienter vers la consultation sans a priori.
La dépression se soigne-t-elle
d’elle-même?
Il est dangereux de penser que l’on peut dépasser un épisode
majeur de dépression sans faire appel à un médecin. La
caractéristique majeure de la maladie est l’inhibition, c’est-
à-dire une forme d’impossibilité psychologique et physique
d’entreprendre une tâche, un projet... La personne ressent une
incompréhension de ce qui lui arrive et a le sentiment d’être
écrasée par une charge qui la dépasse. Une fatigue inconnue
la frappe et rien n’y fait. Seul un traitement bien mené va
lui permettre d’alléger ce poids et de reprendre une activité.
L’antidépresseur offre la possibilité d’entamer un travail sur soi
lors d’une psychothérapie.
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s a n t é
N°64 - Nov. / Déc. 2018