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n°50 févr. / mars 2015
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a contrefaçon est un phénomène connu du grand public, en ce
qui concerne les grandes marques. Elle prospère et s’établit,
souvent et exclusivement avec la complicité des acheteurs qui
cherchent à acquérir au moindre coût des produits de qualité
apparente. En revanche, le médicament, compte tenu de son
encadrement européen très strict, échappe complètement à la
notion de contrefaçon. Pourtant, sur le plan mondial, le volume
des faux médicaments, en unités comme en chiffres d’affaires,
dépasse de loin les autres «marchés». Or le risque est double.
Tout d’abord, lorsque l’on achète un médicament sur internet
(pour les pays occidentaux) ou sur les marchés (dans les pays
en voie de développement) on ne sait pas que l’on achète un
médicament falsifié. Ensuite, si dans le cadre d’un tee-shirt, ou
d’un sac à main, la vie n’est pas en danger, pour le médicament,
l’abus est très souvent vital, soit parce qu’il n’y a aucun principe
actif, soit des faux principes actifs, soit des résidus toxiques...
(Voir encadré, p.16).
En quoi consiste
la contrefaçon des
médicaments
L’objectif est de produire au moindre coût une présentation d’un
médicament déjà commercialisé, même emballage, même police
de caractères, même gélules ou comprimés, même notice, sauf...
que les gélules ou comprimés ne contiennent pas les principes
actifs censés posséder les propriétés destinées à prévenir ou
à corriger une maladie, selon la définition internationale du
médicament. Les conséquences sont graves car, s’il n’y a pas de
principe actif, la maladie continue de se développer et, dans le
cas d’une maladie cardiovasculaire par exemple, l’issue ne peut
être que fatale. La fin (le gain d’argent) justifiant les moyens,
les faux médicaments sont souvent fabriqués dans des conditions
dérisoires (une cave, un local insalubre à l’abri des regards...). Les
filières sont faciles à monter pour les trafiquants et l’écoulement
se fait en grande partie sur le web, avec des sites en ligne aux
quatre coins de la terre... Les profits sont tels que les moyens mis
en œuvre sont quasi exponentiels, ce qui permet de corrompre
les intermédiaires et de faire sauter les frontières pour écouler
les produits falsifiés. Selon les données de l’IRACM, pour 1000$
investis, le «retour sur investissement» peut aller jusqu’à
450000$ ! Par ailleurs, l’élément de dissuasion, à savoir le risque
juridique et pénal est considérablement inférieur à celui du trafic
de drogue. A titre d’exemple, un «homme d’affaires» anglais de
67 ans du comté de l’Essex en Angleterre, vendait des traitements
préventifs pour le cancer à base de noyaux d’abricots à raison
de 500 £ / mois (environ 650
€
). La responsabilité se situe à 3
niveaux: 1/falsification de médicaments ; 2/le cancer du malade
continue de se développer ; 3/les noyaux d’abricot possédaient
un taux de vitamine B13 qui auraient pu être fatal aux doses
absorbées... L’homicide indirect pourrait être évoqué, notamment
pour le chef d’inculpation d’empoisonnement, ce qui entraînerait
une peine d’emprisonnement de 30 ans (en France). Le 2 février
2015, pour avoir mis la vie d’autrui en danger, «l’homme d’affaire»
a été condamné à seulement 6 mois de prison et à une amende de
10 000 £ (13 000
€
), ce qui démontre la très grande insuffisance
des moyens juridiques nationaux, d’une part, et, d’autre part
l’insuffisance d’une législation internationale pour lutter contre
un trafic qui lui est largement internationalisé et qui utilise toutes
les failles du système actuel.
Les filières du trafic
a production est essentiellement faite en Chine et en Inde,
et à un degré moindre en Russie. Cette production liée à
une organisation criminelle peut revêtir différents niveaux :
les organisations de petites tailles (2 à 5 personnes), les
organisations trans-nationales de taille moyenne (une dizaine
de personnes), les organisations de grande envergure trans-
nationales, les organisations criminelles chinoises, les
organisations mafieuses, celles du terrorisme et celles du
financement. Les filières peuvent être très complexes.
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Andrew Strempler avait exploité une faiblesse du système de
santé américain pour se spécialiser dans la distribution à des
américains mal ou peu assurés via Internet. Les commandes
passées sur le site de la société RxNorth arrivaient aux Bahamas
où les commandes étaient cumulées pour être transmises à un
faussaire chinois. Les conteneurs étaient ensuite acheminés par
voie maritime jusqu’à Hong-Kong. Puis un cargo embarquait la
marchandise jusqu’à Sharjah, zone franche aux Emirats Arabes
Unis. Un avion cargo les emmenaient à Heathrow airport,
aéroport le plus fréquenté au monde, près de Londres. Un
bateau cargo transportait les marchandises aux Bahamas où les
commandes étaient préparées unitairement, client par client.
Une fois prêtes, les commandes des clients repartaient pour
l’Irlande du Nord, d’où les paquets, portant un affranchissement
européen, étaient acheminés aux clients situés aux USA.
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Le terrorisme n’est pas en reste. Plusieurs filières associées ou
complémentaires prospèrent au Moyen-Orient. Filière «jordano-
chinoise» impliquant des réseaux en Jordanie, en territoires
palestiniens (Hezbollah), en Egypte et en Syrie. Le cas de
l’égyptien Abu Kasheh mérite d’être souligné. Son réseau fut
infiltré par un repenti, fondateur de la filière jordanienne. Grâce à
cette infiltration, Abu Kasheh fut amené à rencontrer de prétendus
acheteurs supposés être des FARC (colombiens), se présentant sous
le nom de code «Monaco». Abu Kasheh fut arrêté par les autorités
égyptiennes en avril 2009. Dans son appartement étaient stockés
5 000 boîtes de médicaments pour la maladie d’Alzheimer, 1 700
boîtes pour le cancer du sein... Il purgea une peine de prison et
fut libéré en avril 2012 et se trouverait en Jordanie où il aurait
repris ses activités criminelles...
Les victimes
es continents destinatair s sont essentiellement l’Afrique
subsaharienne, l’Amérique du sud et l‘Asie du sud-est. Les
conteneurs partent des pays producteurs et sont déversés
vers les pays destinataires, où la législation est insuffisante,
la corruption facile, et où la population ne peut pas acheter
les médicaments comme ceux que l’on trouve dans les pays
industrialisés (Europe, USA, Canada, Australie, Japon).